Commissariat de police de Boulogne-Billancourt. 14h30. Deux policiers en faction. Un homme, une femme. Gilet pare-balle double épaisseur. Le cœur est protégé. La tête est libre. Des barrières.
Arrive le jeune homme, fin et élancé. Brun. Ah, c’était un beau jeune homme, bien coiffé, les cheveux coupés bien courts, aurait dit ma grand-mère. ET cette immense barbe qui n’en finit pas de s’éparpiller au bas de son visage. Il tient un paquet blanc. Une grande enveloppe blanche en plastique souple et brillant.
Le temps se suspend un instant. Le jeune homme sourit. La policière s’avance vers lui, un imperceptible temps suspendu, une virgule. Il a le visage de l’emploi. Un terroriste ?
Il est de l’autre côté de la barrière. Elle tend ses mains, reçoit le paquet blanc. Une chose volumineuse à l’intérieur.
Alors que je traverse cette scène, puis la laisse derrière moi, j’attends le bruit de l’explosion. Et puis rien. Peut-être pour plus tard, me dis-je. Et je prends conscience de mon conditionnement, de l’étroitesse de mes points de vue, de cet enfermement dans les certitudes qui empêche la rencontre. Là est la vraie terreur !
Cette courte scène m’amène plusieurs réflexions :
- Et voilà comment, toi le jeune homme, je t’ai mis dans une case, comment je ne te laisse pas être autre chose que la caricature des journaux, comment je ne te laisse pas la chance de me rencontrer, ni ne me laisse la chance de te rencontrer, comment l’écran de mes pensées se place entre nous, comment mes pensées rendent improbable l’être ensemble. Et comme ces policiers dans leur mission de service public sont tenus de t’accueillir, à partir de quel endroit, de quelle posture t’accueillent-ils ? Et si nous devions travailler ensemble, comment parviendrais-tu, comment parviendrions-nous à faire avec mes clichés et à construire ensemble de nouvelles représentations de qui tu es et qui je suis en ta présence ? Je me souviens de cette entreprise dans laquelle les collaborateurs changeaient fréquemment de manager. On appelait cela le mercato. Au détour de l’année, la machine à café bruissait : « j’ai hérité de Machin, un vrai boulet, on m’a dit… », « je te confirme ! ». Ou encore ce dirigeant : « J’ai 4 collaborateurs dans la nouvelle équipe dont je prends la tête, enfin… trois qui bossent et un … », « Un quoi ? » lui dis-je. « Un électron libre,… on m’a dit que ça allait être compliqué.» Boulet ou électron libre, pas simple de sortir de l’étiquette, … un peu comme si Pygmalion marchait sur les mains : « je deviens tel que tu me vois » hélas pas au meilleur de moi-même… et peut-être vais-je finir par, effectivement, agir tel un boulet ou un électron libre, par loyauté à l’image que tu as de moi.
Le travail du coach peut intervenir à plusieurs endroits du système. Auprès du collaborateur et de sa perception de son image dans son système, auprès du manager pour l’aider à élargir son point de vue sur la situation, et en bien d’autres endroits certainement. - Et je pense aussi à ce paquet blanc qui est délivré. Comment la perception même que j’ai de ce paquet définit-elle la prise en charge que je vais en faire ? Comme en entreprise. Après un arrêt maladie de longue durée, ce manager perd la direction de son département. Le directeur de son entité lui confie des missions transverses…Et voilà notre ancien manager qui intervient pour le compte de son patron, sur des projets structurant pour l’ensemble de l’organisation, des projets qui requièrent expertise technique, sens politique, capacité à établir des liens avec différentes cultures… et pas de management d’équipe. Le fameux paquet blanc. Il a fallu du temps à cet ancien manager pour laisser aller son inquiétude quant à ce que ses anciens collaborateurs pensaient selon lui de sa « démanagérisation » puis pour goûter positivement cette nouvelle place dans l’organisation, et enfin laisser advenir un nouveau rôle nourri de cette étape de transition.
Finalement la question n’est pas « peut-on laisser une chance au paquet blanc » mais plutôt « comment lui laisser une chance d’être porteur de bienfaits, d’être une bonne nouvelle ». Ce processus demande du temps, le temps de la maturation intérieure. Celui-ci se frotte au rythme des organisations. Et c’est un autre grand sujet qui s’ouvre.